dimanche 14 septembre 2014

La Grande Guerre à Toul

Nous avons le plaisir de vous faire revivre la promenade historique et littéraire consacrée à la Grande Guerre à Toul, en textes, en images et en musique. Le Claveau remercie chaleureusement Josette Codron et Philippe Masson pour la mise à disposition de leurs textes et notes respectifs. Les oeuvres littéraires ont été lues pendant les deux visites estivales par Jean-Pierre Ziegler et Vincent Rouyer.




Parvis de la cathédrale. 
Plaque commémorative de Jeanne d'Arc



La mobilisation, le 1er août 1914 est une surprise dans les campagnes françaises. Un sentiment divergent est perceptible entre l’« enthousiasme », voire l’exaltation dans les grandes villes et la dignité, la résolution dans les campagnes.
Par contre, la déclaration de guerre entraîne des manifestations patriotiques. La croyance en une guerre courte et victorieuse a certes existé mais ce sentiment était loin d’être partagé par tous.

En 1855, lors des fêtes d’Orléans, dans le discours de Mgr Dupanloup, Jeanne d’Arc est pour la première fois considérée comme une sainte au sens canonique. Elle commence à représenter l’Eglise et la France, incarnant un esprit de force et de résistance. Jeanne d’Arc est béatifiée en 1909. Durant la guerre, la figure de la combattante est mise en avant dans le discours politique notamment.

A partir de la canonisation de 1920, elle est associée aux victimes de la Grande Guerre dans un contexte de renouveau de la Foi. A Toul, en 1930, une plaque est érigée sur le parvis de la cathédrale.



Pierre Mac Orlan « Les poissons morts », 1917




Eté 1914, Pierre Mac Orlan est en vacances en Bretagne.


J’habitais une maisonnette située dans l’intérieur des terres, près de Ker-Goez. Un de mes amis, architecte à l’école des Beaux-arts possédait une chambre dans cette maison.

Un matin, il reçut une lettre de sa mère ; il nous la montra pour lever nos doutes ; Cette belle Française écrivait : « Mon enfant, il est temps de rentrer. Tu trouveras ton uniforme sur le lit… »


Nous résolûmes de partir le lendemain.

Le soir à l’hôtel Bacon, devant la jetée, nous trinquâmes ensemble, car nous étions tous mobilisables et chacun de nous possédait assez d’imagination pour évaluer l’envergure du cataclysme. 

_ Je crois qu’on ne peut plus en douter dit Jacquet, directeur de la sardinerie. Jacques Vaillant se leva, prit ses couleurs et sur le mur blanchi à la chaux de la petite salle à manger dessina un soldat d’infanterie croisant la baïonnette. Au-dessous, il écrivit la date et chacun de nous vint signer en indiquant le numéro du régiment qu’il allait rejoindre.

Le lendemain, la pluie qui n’avait cessé de tomber avec une perversité sournoise pendant 7 ou 8 jours, prit de l’assurance si j’ose dire et se répandit drue et puissante, courbant les arbres, éparpillant les fleurs, s’acharnant sur la nature végétale, à l’image de l’artillerie s’acharnant sur l’humanité.


La pluie redoublait de violence et la voiture cahotait avec un bruit de ferrailles compliquées.

_ On entend, on entend comme une clameur dit une femme

_ Nom de Dieu, arrête dit Vaillant au breton.

Le cheval s’arrêta court et alors nous entendions les cloches, toutes les cloches…il y en avait de grêles, d’argentines, de fêlées, mais toutes sonnaient le tocsin à pleine volées.

Ma femme se renversa sur moi et se mit à pleurer.

Au loin, au bord de la lande, deux vieilles femmes se signèrent en nous apercevant.
_ La guerre est déclarée, dis-je.

Le breton fouetta son cheval, la voiture bondit sur les cailloux et nous ne tardâmes pas à pénétrer dans la grande rue de Moëlan.

Le village paraissait en fête. A la porte de la mairie le drapeau tricolore avait été amené.

Les hommes se pressaient pour prendre conseil, les terriens avec leurs habits des dimanches, portant le chapeau enrubanné de velours et bouclé d’argent, et les inscrits, déjà revêtu de leur uniforme de matelots, le sac de toile blanche jeté sur l’épaule.
Une section d’infanterie en tenue de campagne, débarquait des caisses en forme de cercueils, des caisses de fusils. Les soldats avaient le manchon bleu sur le képi. Ils parlaient peu. Personne ne parlait d’ailleurs.



La tragédie (sens littéral et littéraire)

1-  Une plaque rappelle ici le procès matrimonial fait à Jeanne d’Arc.
Jeanne, fait partie des figures tragiques évoquées dans le monde des lettres, lors de la Première Guerre mondiale. Au fil des années de guerre, elle deviendra, après Thérèse de Lisieux, seconde  « patronne » des Poilus.
Charles Péguy, lorrain de cœur, (il n’a jamais pardonné l’outrage fait à la France  concernant les provinces perdues) utilise de façon poétique le courage et la révolte de Jeanne dans  le drame  "Jeanne d’Arc"  qu’il écrit en 1897. On peut lire à travers le destin de Jeanne celui de son auteur. Il meurt héroïquement au « feu » le 5 septembre 1914.
Dans la première partie de cet ouvrage, Jeanne,   avant de partir combattre, évoque avec admiration la ville de Toul et certains de ses habitants qui portent le nom de Chénin…( nom véritable de Emile Moselly , son ami  ; Prix Goncourt 1907  dont les  grands parents sont  originaires  de Chaudeney-sur-Moselle).

Le thème de la guerre en littérature (épopées, tragédies, romans) est permanent.
Les guerres ont cette particularité de survenir toujours de façon absurde, inattendue.
Dans la mythologie grecque, l’enlèvement d’Hélène, femme du roi de Sparte, ne fut- il pas à l’origine de la guerre de Troie?
Les assassinats de Jean Jaurès puis de l’héritier du trône de l’empire d’Autriche-Hongrie et de son épouse (dans des circonstances tout à fait romanesques) ouvrent le premier acte du drame. Se met alors en marche "la machine infernale".
Jean Giraudoux, blessé en 1914, publie dès 1935 « La guerre de Troie n’aura pas lieu » conscient du danger potentiel d’une seconde guerre mondiale ! Les écrivains n’ont que leur plume pour mettre en garde et combattre. Giraudoux fait dire à Hécube, reine de Troie : « dès que la guerre est déclarée, impossible de tenir les poètes… »
La  première  guerre mondiale fut et  est  encore, et surtout aujourd’hui, source d’inspiration pour les écrivains. On a beaucoup écrit pendant la guerre, sur la guerre et après la guerre.

2-  La représentation du corps du Christ en croix (façade ouest de la cathédrale) sera dans l’imaginaire collectif relayée dans la littérature et dans l’art en général, par « le corps souffrant » du soldat de la guerre de 1914-1918.
Ainsi l’évocation du poète Blaise Cendrars est-elle inséparable de son  bras coupé, Guillaume  Apollinaire  de sa tête bandée, ce dernier immortalisé par Picasso…
Et surtout, nous viennent à l’esprit les tragiques images de milliers de « gueules cassées ». Lors du traité de Versailles le 28 juin 1919, Georges Clemenceau conviera 5 représentants de ces blessés de la face, témoins de l’horreur des combats.
Le «  corps souffrant » donnera lieu à de multiples descriptions et interprétations en art et littérature…

Jardin de l'Hôtel de Ville. 
Statue de la France recueillie



La statue est l'oeuvre d'Etienne Hippolyte Maindron (1801-1884). Sculptée en marbre de Carrare, elle date de 1874. Maindron est un élève du sculpteur David D’Angers. Elle est figurée en guerrière (épée) et elle croit en l’avenir (l’ancre représente l’espérance). Elle a un regard déterminé.
L’année 1874 correspond au début de la construction des forts autour de Toul. L’espoir de reconquérir les provinces annexées perdure jusqu’en 1914. Cet espoir est largement présent dans l’œuvre de Maurice Barrès.

Pourquoi nommer cette statue « la France résignée » ?


1915 : Février-mars : a lieu l’offensive de Champagne. 100 000 morts sans grand résultat

          Avril : bataille d’Ypres. Le quart des effectifs alliés est tué

          Mai-juin : offensive en Artois. Plus de 100 000 soldats français tombent

          Septembre-octobre : nouvelle offensive française en Champagne. 150000 morts



En Lorraine, les offensives Françaises ont principalement concerné : Hartmannswillerkopf, Bois-le-Prêtre, le bois d’Ailly (tranchée de la soif), les Eparges, Vauquois dans le but de s’emparer des principaux points hauts. De gros effectifs sont engagés, les pertes sont considérables et les résultats à peu près insignifiants.



Réflexions à propos d’une statue dans le jardin de l’Hôtel de Ville.


Cette allégorie de la femme est perçue différemment par les soldats ! Elle suscite ou Espérance ou Résignation. Même la légende de la carte postale qui la représente fluctue selon les années et les éditeurs.
Lettres et cartes postales  sont des genres littéraires qui ont atteint lors de cette guerre leur apogée en qualité et quantité.
Ce sont de précieux documents concernant le moral des soldats qui transitent vers Toul, mais aussi, concernant le rôle de la religion, école et famille qui structurent une société encore très largement rurale.
Des cartes postales et lettres célèbres nous sont parvenues, notamment  celles de l’auteur du "Grand Meaulnes" dit Alain-Fournier (qui rata de peu le Goncourt en 1913), mort au front le 22 septembre 1914, 17 jours après son ami Charles Péguy .
« J’ai grande confiance en l’issue de la guerre, priez Dieu pour moi et ayez confiance (…) Heureux les épis mûrs, comme le dit Péguy …». Lettre à sa sœur le 28 août 1914.


Caserne de siège du bastion 45
 




Cette caserne a été édifiée entre 1842 (partie gauche) et 1875-1877 (partie droite). En 1914, elle sert à la manutention (fours à pain au rez-de-chaussée). L’extrait, que l’auteur situe dans les casernes du 146 RI (reformé en 1887, cantonné à Toul depuis 1900) au plateau Saint-Georges, évoque la vie de caserne à Toul  mais la scène se reproduisit partout.


Tollab François-Xavier (Ballot), "Jusqu'à l'infini", 1931


Né à Vincey en 1886. Décède à Nancy en 1954.


Dans son ouvrage « Jusqu’à l’infini », il relate un mois et de demi de mobilisation et de campagne en Lorraine,  jusqu’à sa réforme fin novembre pour "état pulmonaire et état général faible".



Juin 1914. La caserne du 146ème RI, plateau Saint-Georges à Toul, s’anime d’un brouhaha inaccoutumé. Des figures curieuses et amusées se pressent aux fenêtres des bâtiments. Les fourriers courent ça et là, jetant leurs derniers ordres pour l’aménagement des chambrées nouvelles ; ceux de l’active se sont tassés pour laisser place libre aux arrivants. Voici les réservistes !


Le colonel apparaît. D’un coup d’œil, il parcourt cette masse d’hommes qu’il aura un jour peut –être l’honneur de mener au combat et à la victoire. Une flamme d’orgueil passe dans ses prunelles. Allons, les Allemands n’auront qu’à bien se tenir s’il leur prenait jamais fantaisie de se frotter à de pareils lapins. Son regard salue ensuite le drapeau ; celui-ci entouré par se garde d’honneur frissonne au vent. Il semble évoquer, pour tous ces braves gens rangés sous ses plis, dans les ors fanés de victoires inscrits sur ses trois couleurs, le sacrifice de ceux qui l’ont voulu plus glorieux et annoncer les holocaustes à venir.
 

Porte Moselle



L’aspect actuel de la porte date des années 1883-1884. 

La prostitution pendant la guerre.


Aux abords immédiats de la porte, se déroulait à l’abri des regards une prostitution clandestine. L’hypothèse d’une guerre courte fait que la question de la sexualité des soldats ne se pose pas en août 1914, ni pour les autorités militaires, ni pour les mobilisés. A Toul, comme ailleurs, les trois maisons de tolérance des 12, 18 et 20 rue Monnaie sont fermées et les « femmes de mauvaise vie » exerçant hors maisons sont expulsées du camp retranché et ce pour plusieurs raisons. Elles menacent d’abord de détourner les soldats de leurs devoirs patriotiques. Ensuite, le risque de contamination syphilitique et d’autres maladies vénériennes est bien réel. Enfin, le risque d’espionnage est clairement redouté par les autorités militaires. Cette interdiction a pour effet de favoriser la prostitution clandestine et occasionnelle, d’autant plus que la conscience d’une guerre longue s’est désormais installée. La  rareté des permissions crée une véritable misère sentimentale et sexuelle chez les soldats. Or, la situation économique des femmes dont l’époux est au front est souvent difficile. La prostitution clandestine concerne principalement les serveuses des débits de boissons, les blanchisseuses, les couturières. Le commissaire spécial de Toul constate qu’un grand nombre de femmes de Pierre-la-Treiche pratiquent la prostitution clandestine. Les zones privilégiées étaient les terrains avoisinant les casernes. Les maisons de tolérance sont rouvertes le 27 avril 1916 par 1’arrêté du Général Commandant d’armes de la place de Toul. Les maisons alimentées par un recrutement parisien renforce la peur de l’espionnage au contraire de la fille locale.
 

Caserne Gouvion Saint-Cyr 


 

A partir de 1755  cette caserne abrite un régiment de cavalerie. Les vestiges subsistants datent de la fin du XIXe. La caserne fut désaffectée en 1927.

Tollab François-Xavier (Ballot), "Jusqu'à l'infini", 1931

En somme, nous représentions des troupes de couverture bien entraînées, bien disciplinées, dotées de cadres solides et dont l’instruction militaire avait été poussée à fond ; aussi nos chefs fondaient-ils sur nous les plus grands espoirs pour l’avenir. Cependant rien encore dans nos esprits pacifiques ne laissait présager l’horrible tragédie qui devait bientôt ensanglanter la France et le monde.

Le premier échelon du régiment, en tenue de campagne et équipé à neuf, était déjà parti vers la frontière. Quelques sergents-majors et fourriers restaient pour l’habillement et l’équipement des nouveaux arrivants. Mais quel désordre régnait ! Les collections de guerre avaient été mises au pillage et chacun devait se débrouiller pour trouver des vêtements à sa mesure. Les magasiniers couraient affolés, le chef armurier distribuait les armes au petit bonheur. Un homme coiffé  d’un képi trop grand qui lui cachait les oreilles, s’évertuait à enfiler une capote dont les manches lui venaient au coude. Un autre, grand et fort, essayait vainement de chausser un soulier tout juste bon pour un adolescent. ; le troisième arborait un pantalon qui ressemblait à un caleçon de bains, tandis que sa tunique lui descendait aux genoux. Bref, c’était la « pagaïe » dans toute sa beauté.



Place de la République




Musique et chanson en lien avec la guerre


A Toul, l’écrivain et poète Pierre Mac Orlan immortalisera son régiment en créant quelques chansons que « Youtube » permet de nous faire entendre ce jour en direct !
La chanson prétend soutenir le moral des troupes et participer à l’effort de guerre.
Depuis la défaite de 1870 ; la chanson revancharde est officiellement enseignée et chantée dans toutes les écoles de France. 

Le kiosque à musique, aujourd’hui disparu, était le lieu des fanfares civiles et militaires.

L’ancien Café offre au regard de magnifiques bustes d’atlantes et cariatides. Se côtoient : guerre (Mars), commerce (Mercure) musique et théâtre (Euterpe et Thalie).
 On a chanté dans cet établissement "La Madelon", qu’un certain Bach (de son vrai nom Charles Joseph Pasquier), mit au répertoire de la chanson militaire. Elle fera le tour du monde !

Non loin de Toul, des artistes reconnus, entre deux séjours dans la fournaise de Verdun, animeront des messes à deux pas du front. André Caplet, familier des Eparges, composera "La Marche Héroïque de la 5eme division ou Marche de Douaumont". Il aura à ses côtés le violoncelliste Maurice Maréchal et le violoniste Lucien Durosoir.
Le comique troupier subsistera durant toute la durée de la guerre et ce, malgré l’horreur. L’armée fera appel à des artistes pour distraire les soldats  dans le cadre du théâtre aux armées. A Toul, des représentations théâtrales se succèdent et les cafés sont bien animés.
Parallèlement, la chanson subversive (clandestine !) fera son apparition et accompagnera les premières mutineries. (La chanson de Craonne ou de Lorette, plus tard, La Butte rouge…)

L’Eglise participe également par la liturgie paroissiale au soutien de la nation.
A Toul, le Cantique du Chanoine Saurin est scandé lors de processions mémorables…(Hymne patriotique au Sacré-Cœur)

Extraits musicaux (cliquez sur le lien pour écouter les morceaux)

La butte rouge

Parole : Georges Montéhus
Musique : Georges Krier
 

http://www.youtube.com/watch?v=CKhlqxLu8RU

La Madelon


Livret. Coll.part.
Livret calligraphié. Coll. part.

 Parole : L. Bousquet
Musique :
Camille Robert


http://www.youtube.com/watch?v=lm4tViuVoJM


La chanson de Craonne

http://www.youtube.com/watch?v=4NtvgutpKT8


La marche de Douaumont

Musique : André Caplet

http://www.youtube.com/watch?v=vqC0jaFXdoQ





Ecole Jules Ferry








L’école Jules Ferry est érigée à l’emplacement d’une ancienne halle aux blés (1823-1828), elle-même construite à l’emplacement de l’église paroissiale Saint-Amand. Les travaux sont réalisés par l’architecte toulois Charles Bailly qui fut architecte de la ville. La ville est évacuée entre  le 31 juillet 1914 et mars 1915. Les écoles sont alors transformées en hôpitaux militaires. Des restrictions et rationnements arrivent rapidement. Des cartes d’alimentation sont créées mais nul ne souffre réellement de la faim. La situation sera tout autre pendant la seconde Guerre Mondiale.
 


Une touloise dans la Grande Guerre. Louise Colnat (Etudes Touloises)

En 1915, les blessés furent dirigés sur les casernes de la Justice transformées en hôpitaux et portant sur le toit une croix rouge se dégageant d’un grand carré blanc. Les écoles furent rendues aux enfants et la ville ayant été « ouverte », les habitants revinrent, les magasins rouvrirent. Nous ne fûmes jamais rationnés comme sous l’occupation allemande de 1940.
Le bronze devait être rare car la Chambre de Commerce de Nancy lança des pièces d’un carton brun clair : un sou, prix du journal ; deux sous, un timbre-poste (20 sous = 1 franc). Et je passai mon certificat d’études à l’école Jules Ferry.



Culture et patriotisme

A l’école Jules Ferry à Toul, on dispense, comme dans toutes les écoles de France, une fervente culture patriote ! «  Les hussards noirs de la République », selon la formule de Péguy, entendaient former des citoyens. Paul Bert écrit dans un livret destiné aux jeunes filles « C’est en connaissant sa Patrie qu’on apprend à bien l’aimer(… ) Vos frères devront aller se battre pour défendre ses frontières ou son honneur »
Les maîtres utilisent de façon ostentatoire les cartes de France amputées de l’Alsace et une partie de la Lorraine.

Et dans le même temps, Paul Victor de la Blache met pour la première fois  la géographie « au service de la nation » à l’Université de Nancy.
Ernest Lavisse de l’Académie française est le pédagogue reconnu et incontournable. Son célèbre manuel d’ « Histoire de France »,  construit un grand récit national peuplé de glorieux héros à portée de chaque écolier. 

Augustine Fouillée, publie dès 1877 (sous le nom énigmatique du philosophe brûlé par l’Inquisition : G Bruno), un livre d’apprentissage de lecture du cours moyen au succès colossal : "Le Tour de France par deux enfants". Elle entend préparer, par cet ouvrage, la jeunesse à reconquérir les territoires perdus !



Les provinces perdues. Carte extraite du Tour de France de deux enfants.


Carte de France distribuée aux écoliers 
pour célébrer le retour des provinces perdues au début des années 1920.
Coll.part.





Le Colonel Driant, ami de Lyautey et Déroulède (demanda à reprendre du service en 1914 et mourut à Verdun en 1916) a fait rêver petits et grands à travers ses romans d’aventure et d’héroïsme.


Victor Prouvé crée des affiches militantes mises à disposition dans les écoles.


Les enfants sont encouragés à adopter individuellement ou en groupe, l'un soldat du front.

Même les enfants participent à l’effort de guerre par le sacrifice et l’effort individuel...
 
Monument aux Morts





Le monument est érigé en 1923 en exécution d’un décret du 15 mars 1922. Les pierres des carrières d’Euville et de Mécrin ont été utilisées. Ce monument est dessiné par H. Antoine architecte de 1921 à 1936 et chef d’agence de Paul Charbonnier.

Emile Bachelet (1892-1981) en est le sculpteur. Ce dernier a notamment travaillé aux bas reliefs des Magasins Réunis de Nancy et à de nombreux monuments aux morts en Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges.



Deux allégories féminines de la Victoire sont figurées : l’une est plutôt représentée  
« Recueillie » tandis que l’autre est davantage « Glorieuse ». Le monument de la Grande Guerre est le contrepoint victorieux  du monument de 1870, placé au centre. Il porte les noms de 346 victimes nées ou résidantes touloises (la population était de 10 564 habitants en 1911). La ville est citée à l’ordre de l’armée par le ministre de la guerre André Maginot en raisons des bombardements aériens (21 victimes civiles), notamment le 4 juin 1916. le front est en effet à quelques minutes de vol seulement.



Inauguré 23 septembre 23 en présence président du Conseil Raymond Poincaré, du député de Paris Maurice Barrès (tous deux membres de l’Académie française), du Général de Castelnau (le vainqueur du Grand couronné), de Louis Marin (1er vice président de la Chambre des députés) et d’Albert Lebrun (représentant la France à la Société Des Nations). Raymond Poincaré remet la croix de guerre à la ville.



Lettre d’Emile Moselly à Mme Péguy

Charles Péguy



5 octobre 1914


Madame,


C’est seulement aujourd’hui que je puis prendre sur moi de vous écrire. L’affreuse nouvelle m’a anéanti quand elle m’est arrivée au fond du Poitou. Et ma femme quand je lui en ai fait part est tombée en larmes.

Comment vous dire la part que je prends à votre douleur ?

Vous savez l’affection profonde que j’avais pour votre fils. Il a vécu et il est mort en héros. Une seule chose pour alléger votre immense douleur est de savoir qu’il laissera dans les mémoires de tous un sillon de gloire et de lumière.

Nous avons perdu en lui notre chef et notre drapeau. Il était le maître incontesté du petit groupe des Cahiers qui se serrait autour de lui. Et après quelques années, nous avions la joie de le voir grandir, de saluer en lui un des maîtres de la pensée française, un des guides de la génération qui se lève.

Chère Mme Péguy, il me semble que je suis auprès de vous, que je pleure tout bas à vos côtés. Je me rappelle cette petite chaise que vous m’avez montrée où vous lui avez appris à lire tout en travaillant et lisant vous-même par-dessus son épaule.

Il vous reste du moins des petits enfants. Il faudra les élever dans la religion du sublime souvenir de leur père.

Soyez tranquille, nous ses amis, ses frères de lutte et ses disciples, nous dresserons de lui une image si glorieuse que es yeux de l’avenir resteront fixés sur lui éternellement.

Il faudra venir nous voir. Ma femme qui se joint à moi vous demande d’être forte comme vous l’avez été toujours.

Quelle dure chose que la vie. Votre présence nous était douce quand nous avons perdu notre petite fille. Faut-il que je ne puisse pas être à vos côtés pour vous serrer la main en ce moment.
Je vous embrasse.




L’éloge funèbre, un autre genre littéraire


Emile Moselly, alors professeur au lycée de Neuilly, apprend par hasard la mort de Charles  Péguy ; et envoie une lettre de condoléances  à sa mère, qu’il connaît bien.

Cette lecture montre les liens fraternels tissés entre Péguy, le créateur des Cahiers de la Quinzaine et Emile Moselly, écrivain  cher aux Toulois !


Gare


 

Les bâtiments de la gare actuelle sont achevés en 1895. La présence d’abris anti-aérien sous le terre-plein est une hypothèse encore discutée aujourd'hui parmi les historiens.
 
Pierre Mac Orlan « Les poissons morts », 1917

Illustration de Gus Bofa

A Pierre Falké. 


Le train qui nous emmène vers Toul démarre lentement, au milieu des cris, des hurlements, des vociférations et acclamations de toutes qualités. Il rebondit, ce long convoi, sur les plaques tournantes, le long des fortifications dont le talus vert grouille de tout un peuple frénétique.



De loin, sur ce tableau largement brossé, le détail échappe à la vue. On ne voit pas les larmes ; les petits mouchoirs pavoisent cette masse sombre ; le vertige commence : La

guerre ? Ce qu'on a été autrefois. Il y a chez tous un curieux déplacement de toutes les

facultés. Les histoires les plus invraisemblables trouvent crédit chez des hommes surexcités, en temps normal raisonnables, et qui savent très bien que cela ne peut pas

exister. Cependant ils écoutent, écoutent intensément..., ils approuvent, tout sens critique aboli.


La majeure partie de mes camarades a cherché dans le vin la solution de quelque problème obscur. Les plus fortunés réussissent en ce sens qu'ils savent au moins où ils vont puisqu'ils ne cessent de crier « à Berlin ».


D'autres plus réfléchis estiment que c'est aller un peu vite en besogne.

On se regarde, on fait connaissance.



— Quel régiment?



— Ah ben, j'ai fait mes vingt-huit jours avec toi, tu ne te rappelles pas? Sifflet, Sifflet

de la 7 ème à Nancy. »



— Vivement Nansbrock, réclame un quidam. La division de fer est toujours un peu là !



Nous voyageons dans des wagons à bestiaux dont les portes sont largement ouvertes.

La campagne défile. Je suis gêné d'être en civil. Ici dans ce cadre, les habits civils sont

misérables et déplacés, comme ces meubles de valeur qui, déballés sur le trottoir, un jour de déménagement, offrent malgré leur luxe, cet air lamentable des défroques de la brocante.
Partout, sur tous les ponts, le long de toutes les barrières, de chaque côté des gares, des gens nous applaudissent ; des jeunes filles agitent des mouchoirs, des drapeaux.

Le grand convoi pris de frénésie hurle son enthousiasme, l'obscénité est permise et les

jeunes filles n'en rougissent pas comme au temps de paix. On sent que tout est pardonné à ces hommes, dont aucun, à ce moment, ne pense à la mort, à la guerre, à la réalité de la guerre avec son artillerie et l'étonnante précision de la balistique moderne. Chez quelques-uns de mes voisins l'absorption de trop nombreux litres de vin attrapés au vol commence à se faire sentir; l'un d'eux gémit une chanson, deux vers d'une chanson qu'il chantera jusqu'à Toul, tous les quarts d'heure, sur un air lamentable avec la régularité mauvaise de la douleur dans une dent cariée.

[...]

Voici Toul, on aperçoit les casernes de la Justice, la cathédrale, les remparts.... La ville est évacuée. Le train s'arrête: silencieusement les hommes débarquent et par bandes se dirigent vers les forts où sont installés les dépôts de leurs régiments.


Le thème de la gare


La gare en littérature est un lieu hautement  romanesque des rencontres, départs et arrivées.

Le peintre américain Albert Herter a choisi d’offrir (pour la Gare de l’Est à Paris)  le  tableau "Le Départ des Poilus" en souvenir de son fils mort en 1918 dans l’Aisne.
 


Hôpital militaire. Caserne Teulié, ancienne caserne Saint-Léon



Cette caserne a été construite en 1788. En 1844, elle est reconvertie en caserne d’infanterie.

Pr. Pierre Labrude, "Le compte rendu d'activité du Dr. Paul Vernier, chef du service d'ophtalmologie militaire de l'hôpital Saint-Charles de Toul, au cours de la première guerre mondiale", Etudes Touloises, 1997



En 1915, alors que le seul service d’ophtalmologie disponible dans la région est à Toul (Nancy est saturé), l’augmentation des entrées, de février à avril, est contemporaine des combats de Bois-le-Prêtre (la bataille dure d’octobre 1914 à août 1915), et du bois de Mort-Mare entre Flirey et Essey-et-Maizerais. Le maximum d’entrées en avril correspond aux épreuves de la 73ème division qui perdit, selon Vernier, 15000 hommes en un mois. La suite de l’année est marquée par une activité moindre due à un espacement des combats du front lorrain.


1916 est l’année de Verdun (la bataille débute le 21 février) et les hôpitaux de Bar-le-Duc, ville située au débouché de la voie sacrée, ne suffisent plus à l’accueil des blessés, ce qui entraîne des évacuations vers Toul. A partir de juin, un service d’ophtalmologie dépendant de la 1ère armée s’installe à la caserne Thouvenot.





Cathédrale. Plaques des victimes de la paroisse


Charles Péguy, "Eve", 1913

« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.

Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles.
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu
Parmi tout l'appareil des grandes funérailles.

(…)

Heureux ceux qui sont morts car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. »
 



Le lyrisme de Charles Péguy

Piéta associée à la  plaque commémorative des «  morts pour la France »

La scène où Marie reçoit le corps du Christ détaché de la croix fut source d’inspiration pour tous les artistes. Et de recueillement pour les soldats.

Charles Péguy qui semblait pressentir déjà les combats et les multiples croix fait de cette scène une description prophétique dans son ultime poème: "Eve"

Marie est Eve et Mère « Et moi je vous salue ô première mortelle….De vos fils descendus dans cette citadelle….Vous en avez tant mis le long des nécropoles….De ces fils qui venaient le long des métropoles Et marchaient et tombaient et qui mouraient pour vous… »
Les vers les plus  célèbres   de "Eve"   «  Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle…mais pourvu que ce fût  dans une juste guerre...» rivalisent de lyrisme avec Victor Hugo, qui célébrait dans son hymne chanté dans les écoles « Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie »…

Cathédrale. Notre-Dame au pied d'argent 



Des artistes représentent encore Notre-Dame au pied d'argent. Tableau de G. Dallier

























Le 24 novembre 1914 à 11 heures, une messe d’action de grâce et un Te Deum célèbrent la victoire des armées françaises et alliées. L’évêque Monseigneur Ruch qui a succédé à monseigneur Turinaz, décédé le 19 octobre, préside l’office et prend la  parole.


Conclusion

La guerre de 1914-1918 reste de nos jours un thème littéraire particulièrement important. Véritable cataclysme planétaire, elle hante encore les consciences.

Des témoins français, anglais, allemands...ont écrit pendant et après la guerre, des enfants de rescapés (Albert Camus), des petits enfants.

De nombreux écrivains  contemporains s’emparent avec passion et compassion de celle que l’on appelle La Grande Guerre.

Un millier de poètes seraient tombés au front !


Tous en ont dénoncé les horreurs, l’absolue absurdité et inutilité.